
Henry d'Ancy · 1899











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CHAPITRE VII
Le Verre et l'Architecture.
Le progrès et la verrerie. — Les vitres constituent le
premier emploi du verre dans l'architecture. — Les serres. —
Les jardins d'hiver. — Le Palais de Cristal, à Londres. —
Les toitures vitrées. — Les vitres coulées. —
Les vitres coulées en relief. — Le verre armé. —
Les dalles en verre. — Les cheminées de verre. — Le maison
de verre de M. Garnier. — La maison du docteur Van der Heyden. —
Les tables et les guéridons en verre. — Les rideaux de verre.
L'homme est ingénieux; les secrets qu'il
arrache à la nature, il s'efforce d'en tirer toujours de nouvelles
applications, afin d'augmenter son bienêtre. Dans cette voie il ne
s'arrêtera pas: quand bien même il atteindrait un degré
de confortable cent fois plus élevé que celui auquel il est
déjà parvenu, il ne resterait pas encore en repos.
L'activité est dans le fond même de sa nature; il semble
destiné à aller toujours en progressant.
Bien différent, soit dit en passant, est
l'animal. Il est resté stationnaire, au milieu des merveilles
enfantées par le génie humain. Jamais il n'a fait reculer
d'un pouce les limites dans lesquelles la nature a parqué sa
rudimentaire activité.
Dès les temps les plus reculés,
l'homme a trouvé le verre. Il en a fait tout d'abord un objet de luxe:
cela ne lui a pas suffi. Perfectionnant ses méthodes, ses
procédés industriels, il est arrivé à fabriquer
le verre à bon compte, à le rendre accessible à tous,
à en répandre l'emploi dans les usages les plus ordinaires de
la vie. Aujourd'hui, le verre est devenu indispensable. Il semble que
l'application devait s'arrêter là: il n'en a rien
été. En notre siècle, si fécond en inventions
utiles, la science n'a jamais dit son dernier mot. Telle idée qui
aurait paru paradoxale il y a un siècle, est devenue banale à
force d'être entrée dans les faits. Le progrès devait
ouvrir encore au verre de nouveaux horizons.
Qu'auraient dit nos pères, en effet,
s'ils avaient pu prévoir que cette substance essentiellement fragile
serait un jour employée dans la construction, à l'égal
des pierres de taille? Ce prodige, notre siècle en a été
le témoin. Jadis on disait: briser comme verre; l'industrie moderne a
fait mentir la sagesse des nations.
Je m'arrête: en chantant les louanges de
notre époque, je risque de calomnier les temps passés. Mes
lecteurs pourraient croire que le XIXe siécle
a le premier songé à faire entrer le verre dans l'architecture:
rendons justice à nos pères, de qui nous tenons en somme les
premiers rudiments de ces sciences dont nous sommes si fiers! Nous n'avons
fait que développer ce qu'ils avaient déjà commencé:
mais ces développements, il faut le reconnaître, ont
dépassé tout ce qu'ils auraient pu imaginer.
L'architecture? Mais il y a longtemps qu'elle
s'est pour la première fois laissé envahir par le verre!
Qu'est-ce que la vitre, sinon le premier essai tenté pour faire entrer
le verre dans la construction des édifices? Destinée tout
d'abord à préserver les appartements du froid, tout en permettant
à la lumière d'y pénétrer, elle a revêtu
au moyen âge un caractère artistique dans l'architecture
religieuse: elle est devenue le vitrail.
Les vitres, après tout, sont, sans les
édifices, des portions de la façade. Pourquoi ne
formeraient-elles pas à elles seules la façade entière?
Pourquoi ne pas supprimer la pierre, le plâtre ou le bois? C'est ce
que l'on a fait pour certaines constructions, destinées à
abriter en hiver les plantes délicates, qui one besoin de la
bienfaisante lumière solaire, mais qui ne peuvent vivre en plein air
dans la saison rigoureuse. Le serre est un des principaux spécimens
dans constructions de verre. Elle est formée de vitres
enchâssées dans une sorte de carcasse en fer.
Jadis la serre était reléguée
dans un coin reculé du jardin, souvent dans le potager. Aujourd'hui,
il y a serre et serre, l'une sérieuse, destinée à
renfermer les plantes que l'on veut soigner en hiver; l'autre servant au
decorum, à l'ornementation de la maison. Celle-ci est une
véritable succursale du salon; remplie de plantes exotiques,
agréablement meublée, elle constitue ce qu'on appelle le jardin
d'hiver. Elle contribue à donner aux réceptions, aux
réunions mondaines un charme incomparable, grâce à
l'éclat eu au parfum délicieux des fleurs qu'elle abrite.

Jardin d'hiver construit en briques de verre soufflé
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Pourquoi s'arrêter en si beau chemin? Il
n'est pas plus difficule de faire de vastes constructions en verre que
d'édifier des serres de dimension restreinte pour les plantes. En
1851, à l'Exposition de Londres, on a élevé un immense
bâtiment tout en verre, pompeusement appelé Palais de Cristal,
et qui n'est guère qu'une serre gigantesque. Il est formé d'une
multitude de vitres enchâssées dans de la fonte. Il ne mesure
pas moins de six cents mètres de longueur. Trente-trois mille
colonnes de fonte soutiennent tout l'édifice.
Au fond, ce palais n'est pas une merveille;
c'était, comme on dirait aujourd'hui un clou pour l'Exposition
de Londres, destiné à attirer les étrangers, comme le
tour Eiffel en 1889, à l'Exposition de Paris, et la lune à
un mètre que quelques farceurs nous ont promise pour 1900. Ce n'est
pas là qu'il faut regarder pour trouver un progrès sensible
dans l'application du verre à l'architecture.
Si vous êtes entré dans des
administrations, des banques, des caisses publiques, n'avez-vous pas
remarqué que souvent la toiture des vastes halls où l'on
reçoit le public est tout entière faite de vitres? Ce sont
parfois d'anciennes cours intérieures, que l'on a ainsi converties
en salles. La lumière y pénètre abondamment; c'est
un grand avantage; mais j'avoue que j'ai plus d'une fois plaint les
employés, obligés de passer leur vie, dans les mois
caniculaires, au fond de ces cages de verre, comme en serre chaude. Le
soleil est une très bonne chose; mais en plein été
on aime à s'en garer.
Dans ce même ordre d'idées, je
citerai les gares de chemin de fer, les usines; l'industrie moderne, en
réunissant dans un même établissement des armées
de travailleurs, a nécessité la construction de hangars, de
halls immenses, dans la toiture desquels le verre est fréquemment
employé.
Nous avons décrit, dans un
précédent chapitre, la fabrication des vitres: pour la
construction des serres et des vitrages, les feuilles de verre employées
sont le plus ordinairement obtenues par le coulage et non plus par
le soufflage en cylindre.
Pour couler des plaques de verre, on verse
sur une table la matière en fusion; on la lamine au moyen d'un
rouleau que l'on promène par dessus, soutenu par des tringles
d'une hauteur égale à l'épaisseur que l'on vent donner
à la feuille.
On peut obtenir par ce procédé
des vitres cannelées, présentant des dessins de tout sorte
sur leur surface, en coulant la matière en fusion sur des tables
où l'on a gravé en creux les dessins que l'on veut reproduire.
Ou mieux encore, on se sert de tables places et on lamine le verre au moyen
de cylindres gravées. On obtient ainsi des effets fort
décoratifs.
Par le coulage, on arrive à fabriquer,
il va sans dire, des plaques de verre beaucoup plus épaisses,
beaucoup plus résistantes que per le soufflage. Cépendant,
le solidité des vitres coulées n'est pas encore
tellement grande que celles-ci soient à l'abri de tout accident.
Depuis longtemps on a cherché le moyen de construire des vitrages
qui ne fussent pas exposés à se briser au moindre choc. MM.
Bécoulet et Bellet ont essayé de résoudre le
problème en interposant, entre deux plaques de verre, un treillis
métallique. M. Appert a été plus loin encore dans cet
ordre d'idées: il a imaginé de souder, d'amalgamer ensemble
les deux feuilles, de telle sorte que le treillis fût incorporé
dans la pâte même du verre et en devînt comme une partie
intégrante.
Voici le moyen usité en pareil cas: on
roule le treillis autour d'un cylindre. On coule sur la table une couche
de verre, et on déroule en même temps le cylindre, de
manière à étendre le treillis sur le verre encore mou;
puis, on coule par-dessus une deuxième couche de verre. Les deux
plaques s'amalgament ensemble en emprisonnant le treillis métallique.
On a donné au produit ainsi obtenu le
nom de verre grillagé ou de verre armé.
Après les toitures, les planchers! C'est
là que le génie de l'homme a accompli encore de véritables
tours de force. On en arrive, sans y prendre garde, à marcher sur du
verre, à fouler aux pieds un sol fabriqué avec du verre, tout
comme du parquet ou du pavé.
N'avez-vous pas remarqué ces dallages
transparents, fort usités aujourd'hui dans une foule
d'établissements publics, tels qu'administrations, gares, etc.?
Le soir, vous apercevez parfois de la lumière à travers.
Cette substance n'est autre chose que du verre auquel une grande
épaisseur donne une solidité à tout épreuve.
Vous pouvez marcher dessus, sans crainte de tomber à l'étage
inférieur. Parmi ces dalles, le unes sont unies, les autres garnies
de dessins, de losanges, qui les rendent moins glissantes. Elles sont
obtenues par le procédé du coulage.
Cette invention est très heureuse; elle
permet de donner du jour à des locaux auxquels la distribution des
bâtiments empèche de ménager des fenêtres.
Beaucoup de sous-sols reçoivent de la lumière de cette
façon.
Que dire encore de ces tuiles de verre,
destinées peut-être un jour à remplacer les ardoises
pour la couverture des maisons? Et qui sait où l'on s'arrêtera
dans cette voie? On a été jusqu'à construire des
cheminées en verre. Oui, cher lecteur, et ce n'est pas là
une plaisanterie. A Douai, une maison importante a essayé
dernièrement l'installation de cheminées faites d'une sorte
de résidu qui coule continuellement des hauts-fourneaux, que l'on
nomme laitier, et qui est au fond une sorte de verre noir. Cette
matière n'avait jamais été jusqu'alors employée
dans aucune industrie. Les cheminées en laitier ont l'avantage de
ne pas coûter cher et d'être plus legères que les
autres.
Les façades, les toitures, les planchers,
les cheminées, le verre a tout envahi dans la construction. Pourquoi
ne pas bâtir alors des maisons entières, des habitations avec
du verre? Hum! cela pourrait avoir des inconvénients. Il y a tant
de curieux en ce monde!.. Et pourtant cette idée a déjà
germé dans plus d;un cerveau. J'ai là sous les yeux le plan
d'une maison tout en verre, conçu par M. Garnier, le
célèbre architecte dont l'Exposition de 1889 a su si bien mettre
à profit le génie inventif.
Il ne s'agit plus ici de constructions
légères, comme les serres, ou fantaisistes comme le Palais de
Cristal. L'architecte a songé à faire une maison
véritable, pouvant servir à l'habitation, et offrant tout le
confortable exigé par les besoins modernes. Il ne suffit donc plus
que les murs soient formés par de simples vitres; le solidité
en serait trop douteuse et trop facilement compromise.

Briques en verre soufflé
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M. Garnier emploie de véritables briques
de verre, très solides, soit soufflées, soit constituant des
blocs compacts. Ces pierres transparentes sont assemblées ensemble,
au moyen de mastic, dans une grande armature de fer qui forme la charpente
de la maison.
On dispose les pierres en deux parois, de
façon à laisser un vide intermédiaire, dans lequel sont
ménagés les conduits servant soit à l'adduction des
eaux, pour les usages des locataires, soit au déversement des eaux
ménagères. C'est également dans cet espace que sont
logés les fils électriques pour les sonnettes, le
téléphone, etc.
On peut aussi tirer un parti fort heureux de
ce vide ménagé entre les parois, pour rafraichir la maison
en été et la chauffer en hiver. Dans la mauvaise saison, on
y fait circuler de l'air chaud. En été, on y introduit de
l'air comprimé, qui, en se détendant, produit en grande
fraîcheur.
Un médecin hollandais, le docteur Van
der Heyden, a, paraît-il, construit au Japon une maison en verre.
Il est probably que c'est le premier essai tenté en ce genre. Quel
en est le plan, je ne saurais le dire; mais ce qu'il y a d'intéresant
à signaler, c'est le parti qu'il a su tirer de d'espace compris entre
les cloisons des murailles, pour empêcher le soleil, en
été, de venir chauffer l'intérieur des appartements.
On sait que les solutions salines ont la propriété de laisser
passer les rayons lumineux, et d'exclure les rayons caloriques. Notre
docteur a rempli les vides de sa maison d'une solution saline, afin de la
rendre invulnérable aux rayons solaires.
Quel est l'avenir réservé à
la maison de verre? Le verra-t-on un jour se généraliser, ou
bien restera-t-elle, comme tant d'autres inventions humaines, à
l'état de théorie? Nul ne saurait le dire. On ne peut
méconnaître cependant que de pareilles habitations
présenteraient de très grands avantages au point de vue de
l'hygiène. Le verre est facile à nettoyer; et les
impuretés d'ailleurs, gràce à la transparence de la
matière, pourraient aisément se reconnaître. Dans les
pays chauds, la maison de verre rendrait des services appréciables.
Avant d'abandonner le rôle du verre dans
l'architecture proprement dite, nous devons signaler en quelques mots sons
invasion dans l'intérieur même de nos habitations, dans
l'ameublement et l'ornementation de nos appartements.
Grâce aux nouveaux procédés
de moulage en usage de nos jours à Saint-Gobain, et que nous avons
décrits dans un précédent chapitre, on est arrivé
à fabriquer avec du verre une foule d'objets d'usage domestique, tels
que des tables, des guéridons, des dessous de plat, etc. Le verre,
comme chacun sait, se prête admirablement à toutes les fantaises
du moulage; et ces mille et mille articles, rehaussés par le dorure,
l'argenture et la décoration, offrent souvent un aspect fort
séant à l'œil et d'allure vraiment artistique.
Le verre envahit tous les domaines: s'il continue,
il n'existera plus au monde, pour l'usage de l'homme, d'autre substance que
lui. Figurez-vous que l'on a été jusqu'à fabriquer avec
du verre... des rideaux!
Des rideaux en verre? allez-vous me
répondre. Mais quoi de plus simple? On fait bien du verre filé
avec lequel on tisse des étoffes. Pourquoi n'en fabriquerait-on pas
aussi bien du tulle ou de la mousseline? Des rideaux en mousseline de verre
filé seraient assurément fort brillants d'aspect!
Vous n'y êtes pas; il ne s'agit pas ici de
verre filé ces rideaux nouveau modèle sont faits de vrais
morceaux de verre, de tout petits carreaux, blancs ou colorés,
enchâssés chacun dans du zinc, et reliés ensemble, à
leurs angles, au moyen de crochets minuscules.
Ces carreaux ne doivent pas naturellement
être soudés ensemble; il faut qu;ils soient mobiles, afin que
l'on puisse gracieusement relever le rideau, ménager tous les plis
désirables.
Sont-ils, ces rideaux, d'un usage fort
répandu? Non, sans doute. Dame Mode qui est un grand tyran ne les
a pas encore imposés par un de ses décrets irréformables.
C'est peut-être dommage. Ces rideaux sont d'un effet très
pittoresque dans les vestibules ou les salles à manager. Colorés,
ils tamisent fort heureusement le jour et ressemblent à des vitraux.
Ils présentent en outre un avantage fort appréciable; c'est de
se nettoyer facilement. Ils auraient peut-être pour ennemis les
blanchisseurs; à coup sûr ils pourraient compter comme amis
les hygiénistes, qui one souvent critiqué la mode des rideaux
et des tentures d'appartements, comme étant des nids à microbes,
renfermant toutes les maladies dans leur plis gracieux.
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